Lettre à Frédéric Beigbeder

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Frédéric-Beigbeder
Photo : JFpg (CC BY-SA 3.0)

Cher Frédéric,

Je me souviens à peu près du moment où j’ai découvert le personnage quelque peu hors du commun que vous êtes sur bien des choses ; cela remonte au jour où, dans un rayonnage de la bibliothèque de mon collège, je suis tombé sur votre premier roman 99 francs. Je vous avoue l’avoir lu, mais ne pas en avoir conservé un souvenir éclatant, increvable, de ce genre de choses qui vous colle à la peau, vous habite encore longtemps après la lecture.

Je pense que c’est à peu près à la même époque, dans les années 2002-2003, que vous faisiez animateur télé sur une célèbre chaîne cryptée aux côtés de Jonathan Lambert. Vous savez, c’était au temps où vous n’étiez pas encore en partie dissimulé derrière votre abondante barbe qui avec le temps devient grise ; mais, bon, passons et revenons-en à vos livres.

Ceux-ci, un peu plus d’une dizaine, je les ai quasi tous lus ; aussi bien vos autobiographies déguisées (Un roman français, L’égoïste romantique) que vos essais littéraires, ou vos romans puisant plus dans votre imagination que dans votre vécu, ainsi que ceux s’inspirant de faits réels (les attentats du 11 septembre dans le très touchant Windows of the World ou encore la romance candide et spéciale entre Salinger et Oona O’Neill.)

En y repensant pendant que j’écris ces quelques lignes, je me rends compte qu’ils sont à l’image de votre personne et de vos activités, à savoir dispersés, mais fruits d’une passion réelle, celle que vous avez pour la littérature et le cinéma.

En effet, si on vous connaît comme romancier, il est peut-être utile de ne pas oublier que vous avez été ou l’êtes encore aujourd’hui : directeur du magazine Lui, animateur et chroniqueur littéraire, réalisateur, publicitaire — avant tout le reste d’ailleurs —, trublion, créateur d’un prix littéraire et président du jury de celui-ci. En résumé, vous ne faites pas qu’écrire ou du moins pas que des romans finissant soit par être des succès publics en librairies, soit par être couronné par un prix littéraire (l’Interallié pour Windows of the World et le Renaudot pour Un roman français), soit par être adaptés au cinéma.

Oona-SalingerMais ne nous égarons pas une nouvelle fois et venons-en à votre dernier roman, le très justement nommé Oona & Salinger, qui n’aurait sonné aussi juste en s’appelant O’Neill & Jerry ou Jerry & O’Neill.

Ce roman, je le qualifierais d’une balade ; une belle et émouvante balade au travers de bien des territoires et des éléments au premier abord si différents et qui peut-être ne le sont pas tellement.

Nous nous baladons entre les mains, les lèvres, les regards de Jérome et Oona ; ces deux jeunes gens évoluant dans l’Amérique des années trente, juste avant la guerre. Nous les suivons dans certains coins de New York, puis, plus tard, c’est une Oona séparée, mais entourée d’amies que nous suivons dans « la Cité des Anges », là même où elle va rencontrer un certain Chaplin.

Et pendant ce temps là, que fait Salinger ?

Il est sous les drapeaux, il œuvre à la paix dans le monde ; dans un premier temps sur le territoire américain et, dans un second temps, en participant au fameux débarquement de Normandie, et puis à la libération de Paris. Là, au bar du Ritz, qui ne s’appelle pas encore Hemingway, il rencontre le fameux auteur du roman Le vieil homme et la mer.

La suite du livre nous emmène encore en Suisse à Corsier-sur-Vevey, là où Chaplin et O’Neill ont vécu en exil et où ils ont poussé leur dernier souffle avec un peu moins de 25 ans d’écart ; Chaplin le premier en 1977 et Oona en 1991.

Au travers de ces balades sentimentales et géographiques, vous nous faites croiser l’âme de grands noms de l’histoire de la littérature et du cinéma du siècle passé : Truman Capote, Salinger, Charlie Chaplin, Hemingway… Et, plantés au milieu de tout cela, vous nous offrez quelques jolis moments de votre existence.

Parler des autres, de ces grands, est-ce une autre manière de parler de vous : plus effacée, plus en arrière-fond, moins frontale que votre « roman français » ?

Avec pareille plume, il faut bien avouer que tout est possible. Des romans touchants, émouvants comme l’est votre dernier et d’autres qui semblent n’être que le récit inutile de ce dandy-trublion qui connait les codes à utiliser pour faire parler de soi et qui pourtant est bien plus que cela, un écrivain passionné, passionnant, et juste.

Toute chose a une fin. Votre livre se termine ainsi à la page 331 :

« Nos vies n’ont pas d’importance, elles coulent au fond du temps, pourtant nous avons existé et rien ne l’empêchera : bien que liquides, nos joies ne s’évaporent jamais. »

Ma lettre, elle, se terminera presque par cette réflexion : « Il faut vivre notre vie pleinement pour qu’à défaut de l’écrire, d’autres puissent un jour le faire, et avec autant de talent que Beigbeder. »

En un mot, n’hésitez pas à lire ce livre et à aller vous promener en compagnie de Oona & Salinger.

François-Xavier, bibliothécaire

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Frédéric Beigbeder.
Oona & Salinger, Frédéric Beigbeder (Grasset, 2014).

Photo : JFpg (CC BY-SA 3.0)