Epinglés ! présente les découvertes des bibliothécaires et des lecteurs, des livres récents ou plus anciens, parfois méconnus, et qui méritent un coup de projecteur.
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« Allez, debout, c’est le grand jour ! ». L’école ou le bagne, c’est du pareil au même pour Victor. Encouragé par son père, toqué de mécanique et spécialiste des Panhard, il affronte, la mort dans l’âme, une nouvelle rentrée scolaire.
Heureusement, il n’est pas seul. Quand il n’engloutit pas des loukoums en rejouant les plus célèbres coups de maître aux échecs, Haïçam, le fils du concierge, son « respectable Turco-Egyptien », l’aide à percer le mystère des équations à multiples inconnues et lève le voile sur ses questions existentielles.
Il n’est pas bête Victor, il a simplement un don pour la nonchalance et, s’il confond la Turquie et l’Inde, c’est qu’il préfère s’abîmer dans les pages du Krebs, la Bible des Panhard, plutôt que dans ses cours de géographie ou dans l’épuisante lecture d’Alexandre Dumas.
Enfin ça, c’était avant que tout bascule, lors d’un contrôle de maths, où des résultats moins improbables que d’habitude apparaissent sur sa feuille de brouillon. Cette manifestation miraculeuse porte un prénom : Marie-José. Brillante, elle lui propose des cours particuliers afin qu’il s’améliore. Avec elle il découvre les bonnes notes, la musique classique, la peinture, et bientôt les affres des sentiments.
Un beau jour, la jeune violoncelliste lui avoue un terrible secret : elle est en train de perdre la vue et, si ses parents s’en rendent compte, elle ne pourra jamais intégrer la prestigieuse école de musique dont elle a toujours rêvé…
On entre avec délice dans ce premier roman de Pascal Ruter, qui aborde tout en finesse les thèmes de la maladie et de la cécité. Faisant vibrer la corde sensible sans user d’aucun pathos, l’auteur nous laisse, comme Victor, le « cœur tribouillé, tout gonflé et prêt à éclater ». Il a su mêler humour et émotion, et camper des personnages si hauts en couleur qu’on ne peut que s’y attacher.
Le personnage d’Haïçam est d’ailleurs une réussite en la matière. Bienveillant et rondouillard, il fait figure de vieux sage avant l’âge et prodigue toujours de bons conseils à son ami. Le conseiller d’éducation, Lucky Luke, cet as du guidon qui découvre à quel point la lecture est une passion diabolique et chronophage, n’est pas moins savoureux.
Quant à la « maladresse lexicale » de Victor, qui fait parfois sourire (ah le Kamasutra, ce fameux dessert italien !), elle donne souvent naissance à de jolies images poétiques (« mon cœur s’est serré, à cause de la cavalerie des émotions et aussi de la faim ») ou à de véritables morceaux de bravoure (le poème d’amour qu’il écrit à la demande d’un de ses copains est à mourir de rire).
Si Victor pensait « que les livres, c’étaient un peu comme des pistolets chargés et qu’il fallait s’en méfier », vous pouvez en tout cas vous lancer les yeux fermés dans Le Cœur en braille. Le seul risque que vous encourez est de ne pouvoir interrompre votre lecture avant la dernière page.
Mélanie, bibliothécaire
Vérifiez la disponibilité en bibliothèque :
Le Cœur en braille, Pascal Ruter (Didier Jeunesse, 2012).