Epinglés ! présente les découvertes des bibliothécaires et des lecteurs, des livres récents ou plus anciens, parfois méconnus, et qui méritent un coup de projecteur.
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Elle n’est pas comme les autres. C’est une inadaptée revendiquée. Déjà elle est née un 29 février et, comme pour souligner ce miracle, ses parents lui ont attribué ces trois syllabes désuètes qu’on n’entend pas à tous les coins de rue : Si-do-nie.
Sidonie aime la musique classique ; rien n’est plus doux à ses oreilles qu’une pathétique sonate de Beethoven. Elle a aussi pris l’habitude, flaubertienne, d’aller déclamer du Baudelaire à pleins poumons sur cet immense terril non loin de chez elle, où les paysages apocalyptiques de l’ancien bassin minier comblent son amour du spleen. Elle y est à l’écart de la ville morne, étouffante, les pieds dans ses chaussures rouge insurrection, à rêver de Paris, de foules agitées, de musées, de concerts et de cités universitaires. Une louve des steppes amoureuse de la poésie qui chemine à la marge… jusqu’à ce que sa route croise celle de Rebecca.
Rebecca est fascinante ; elle trouble la jeune fille et la désarçonne avec sa supériorité naturelle qu’elle assoit l’air de rien, à coup d’ironie, de réparties bien senties et de ces allusions aux dîners partagés avec les amis musiciens de son père, lesquelles ont le don de faire languir Sidonie, si avide de culture qu’elle vendrait son âme au diable pour côtoyer des artistes.
Cheveux courts, bottes en croco et guitare à la main, Rebecca partage ainsi les mêmes exigences, le même désir de culture, sans pour autant jouer les grandes incomprises, et ne brandit pas sa différence comme un étendard mais la garde en elle-même, à l’abri du monde, des « morses » et des « décalcomanies » du collège, ces copies conformes en transhumance chaque fin de semaine vers les centres commerciaux. Elle la chérit comme une chose rare et précieuse, aussi précieuse à ses yeux que le blues et ses figures de proue qu’elle grave au compas sur les tables. Aussi précieuse que cette beauté singulière qu’elle sait enfouie en Sidonie, là, juste sous l’arrogance et le dédain, et qui ne demande qu’à émerger…
Et bienheureusement, elle finit par émerger. Au départ un peu agaçante avec sa morgue aristocratique et ses attitudes de tyran intellectuel, la jeune désabusée finit par troquer son cafard contre une joie naïve dans les bras de Rebecca. On admire d’ailleurs la persévérance de cette dernière face au peu de considération dont fait preuve Sidonie avant d’en tomber amoureuse. L’insolence s’efface avec premiers émois et, la coquille craquelée, on s’attache à cette allergique aux cacahuètes suicidaire qui a voulu se tuer deux fois pour fuir puis finalement retenir sa moitié, son « double poulpe » ».
Loin de tout stéréotype — si ce n’est celui qu’incarne le couple de lesbiennes hommasses à tendance gothico-féministe que fréquente le frère de Sidonie (mais il n’est qu’anecdotique) —, Le blues des petites villes est, plus qu’une manière délicate d’aborder l’homosexualité, une histoire d’amour inconditionnel, sur cette quête de soi et de son autre, l’autre qui, en mettant l’âme à nu, nous révèle à nous-mêmes.
Le style de l’auteur d’Holden mon frère est, quant à lui, toujours aussi lumineux et, par ses envolées lyriques éclatantes, décrit à merveille et dans toute leur fougue excessive les passions adolescentes.
À lire dès 13 ans, sur fond de Frank Sinatra.
Mélanie, bibliothécaire
Vérifiez la disponibilité en bibliothèque :
Le blues des petites villes, Fanny Chiarello (Ecole des loisirs, 2014).