Epinglés ! présente les découvertes des bibliothécaires et des lecteurs, des livres récents ou plus anciens, parfois méconnus, et qui méritent un coup de projecteur.
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Rowan Clark, quinze ans, n’est plus la même depuis que son frère Jack est mort. Après avoir annoncé la nouvelle à sa petite sœur, elle a grandi d’un coup, endossant malgré elle le rôle de mère, jonglant avec l’école, les devoirs, les tâches ménagères et une Stroma de cinq ans montée sur piles électriques. La mère, la vraie, s’est noyée en même temps que son fils. Tandis que son corps étique et inerte gît sur son lit de mort, son fantôme erre parfois de la chambre à la cuisine et s’incarne, le temps d’une illusion – lors des apparitions fugaces de son ex-mari ou de visites imposées chez le médecin –, en un être de chair peu convaincant, pâle et éteint.
La maison où vit Rowan est un mausolée que tapissent les reliques de son frère défunt, des photos auxquelles s’adresse sa mère quand elle se croit seule, elle qui, pourtant, est devenue si avare en paroles. Le père, lui, est parti. Il assure désormais un service minimum en alternant passages éclair et banalités sur répondeur.
Forte, entêtée, Rowan tente de maintenir l’équilibre instable de son moral et de sa famille disloquée. Elle déguise la dépression de sa mère en fatigue pour rassurer son père, force son humeur et son sourire s’il le faut, et s’occupe de Stroma, si avide d’amour et d’attention.
Un jour, alors qu’elle fait la file à la caisse d’un supermarché, l’adolescente est abordée par un garçon. Il lui tend le négatif d’une photographie en lui assurant que ce dernier est tombé de sa poche. Pour Rowan, c’est l’incompréhension. Elle vient de rencontrer Harper, adolescent sans attaches, grand voyageur amoureux des villes. Bee, ange gracieux et bienveillant, scrute la scène au loin. Rowan ne le sait pas encore, mais et ce cliché et ces deux rencontres – pas tout à fait fortuites… – sont sur le point de changer sa vie…
Ce qui aurait pu être un roman de deuil englué dans une mélancolie complaisante – le risque potentiel de ce genre d’intrigues mêlant adolescents, mort et famille brisée – se révèle être tout le contraire. Tout en nuances, traversé par des émotions multiples, Broken Soup est solaire, bouleversant. Il questionne le temps du deuil, son processus ; la détresse des parents suite à la perte d’un enfant, du père fuyant, de la mère inconsolable emmurée dans son chagrin ; le rejet des autres enfants, si vivants qu’ils ne font que souligner le vide que laisse celui qui n’a pas survécu ; le mutisme causé par la violence du choc ; le désespoir immense qui submerge, dévaste.
Par ailleurs, Jenny Valentine a doté Rowan d’une personnalité riche, profonde : maturité, qualités d’écoute, de compréhension, de réflexion, de pardon… Quel courage de voir cette dernière se battre pour arracher sa mère à l’atonie qui la paralyse et tenter par la même occasion de préserver tout le monde alors qu’elle ne peut compter que sur elle-même pour se protéger !
Le négatif qu’elle reçoit est l’élément déclencheur d’une véritable plongée introspective, d’où vont affluer ses souvenirs et ses questionnements présents. La jeune fille recompose le portrait de Jack à la manière d’un kaléidoscope. Ses réparties. Son humour. Ses cheveux ébouriffés. Puis ce qu’elle apprend de lui par d’autres s’y greffe. Et son frère reprend vie à mesure qu’elle le redécouvre…
De multiples rebondissements viennent émailler l’histoire, qui ne laisse pas de nous surprendre, et le dénouement, totalement inattendu, la clôt en beauté. Un très beau moment de lecture à vivre dès 14 ans.
Mélanie, bibliothécaire
Vérifiez la disponibilité en bibliothèque :
Broken Soup, Jenny Valentine (L’Ecole des loisirs, 2014).