Epinglés ! présente les découvertes des bibliothécaires et des lecteurs, des livres récents ou plus anciens, parfois méconnus, et qui méritent un coup de projecteur.
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À l’école, Sacha est en sixième. À la maison, il est le petit dernier de la famille. En ce moment, à l’école comme à la maison, c’est le grand chambard. Sa sœur Lucie, recluse dans sa chambre, vit ou plutôt tente de survivre à son premier chagrin d’amour. Arthur, un bellâtre de quatorze ans affublé de lunettes de soleil été comme hiver, l’a quittée et, depuis, l’adolescente se vide de toute son eau en un flot lacrymal ininterrompu, haché de reniflements spasmodiques. Au chômage depuis six mois, la mère de Sacha, elle, tourne en rond et tente d’occuper ses journées par des lubies sans cesse renouvelées — art floral, création de bijoux artisanaux, psychologie canine, décoration intérieure… — auxquelles assiste tassé sur sa chaise, impuissant, son mari, un petit gabarit aux lunettes rondes s’abîmant dans des traductions franco-finnoises.
Cette agitation n’est pas au goût de Sacha, doux rêveur un tantinet mou du genou. S’il ne peut se réfugier devant la télé (inexistante) ou dans la nourriture (qui laisse à désirer) de sa mère, il sait qu’il lui reste le téléphone et, au bout du fil, Juliette, sa meilleure amie depuis la maternelle. « Machine de guerre » qu’aucun problème de maths ne peut vaincre, Juliette fait partie du cercle des élèves qui, depuis la nuit des temps, redonne la foi à leurs professeurs et les sauve du désespoir. D’une, parce qu’ils ne répondent jamais à côté des questions ; de deux, parce qu’ils rendent leurs copies à l’heure et, de trois, parce qu’on peut les lire sans perdre un œil.
Et pourtant, Juliette est débraillée, loin de l’image stéréotypée des premiers de la classe, chouchous bien peignés calés au premier rang, le bras levé. Elle a d’ailleurs mis au point un système de valeurs bien à elle, dont les fondations reposent sur un hectare de lucidité accrue, hybridée avec un brin de pessimisme et une large étendue de considérations désenchantées sur l’amour, probablement nourries par les infidélités répétées de son père à sa chère et tendre et/ou l’éclatant divorce qui les ont suivies.
En bref, c’est une incrédule des sentiments. Or, depuis quelque temps, un parfum d’amours (plus ou moins contrariées) flotte dans l’air… D’ailleurs, la maitresse de Sacha n’est plus tout à fait la même : elle a la main lourde sur le fard à joues et a troqué son jeans-baskets contre des échasses et un tailleur moulant. Du coup, Sacha s’interroge. Sur l’amour, surtout. Est-ce qu’« être amoureux, c’est changer de garde-robe » ? Est-ce qu’on devient forcément bête ? Il n’est pas sûr, au fond, de savoir ce que c’est, l’amour, mais la réponse pourrait bel et bien être juste sous son nez…
Une prose réjouissante, ponctuée des vénérables poèmes d’Ivan, l’ami de Sacha, à son institutrice Junon qui, hélas, file le parfait(-ement niais) amour avec Humbert, le prof de gym, — est-il nécessaire de le préciser ? — survêt’ et gourmette en or. Des pages qui nous font regretter de ne pas avoir eu, lorsqu’on était nous-mêmes au collège, une infirmière comme Mme Kostanza pour nous épargner une heure de cours, qu’on ait une égratignure quasi invisible ou une obstruction nasale par enfonçage de bouts de gomme.
Fin observateur, Sacha consigne dans son carnet d’écrivain en herbe les travers inévitables dans lesquels tombent les amoureux et mène, page à page, une étude sociologique qui ne manque pas d’humour et de rebondissements. À lire dès 9-10 ans, pour se poser les bonnes questions sur cette étrange maladie…
Le monde selon Juliette est divisé en deux catégories de gens : les débiles et les complètement débiles. Elle a des théories sur tout, dont elle me rabat les oreilles en permanence. Ces théories forment ensemble une sorte de système, qu’elle appelle « Le Grand Merdier » et dans lequel nous autres, pauvres mortels, baignons, confits dans notre ignorance et notre bêtise.
Mélanie, bibliothécaire
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L’amour, c’est n’importe quoi !, Mathieu Pierloot (École des loisirs, 2014).