Epinglés ! présente les découvertes des bibliothécaires et des lecteurs, des livres récents ou plus anciens, parfois méconnus, et qui méritent un coup de projecteur.
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Certaines choses demandent d’être faites dans de bonnes conditions, d’y poser la forme, afin d’avoir l’espoir de savourer au mieux le fond ; votre livre fait partie de ces choses-là.
Je pense sincèrement qu’il ne devrait point en être autrement, que ce récit perdrait de sa saveur s’il était lu debout à un arrêt de bus, dans un transport en commun, dans une salle d’attente ou dans tout autre endroit pris dans le bruit et l’animation de la Vie.
Ce livre a besoin d’un espace clos, d’un lieu propice aux confidences, celles de votre vie
J’ai envie de dire qu’avec Ça s’est fait comme ça, vous n’êtes pas la première personnalité à ressentir le besoin de vous raconter, de vous exposer, de vous décortiquer, de pratiquer le nombrilisme ; et pourtant, vous l’avez fait sans craindre donc qu’on puisse vous le reprocher.
Parlons en de votre livre, et pourquoi pas en mode « description efficace », histoire de lui faire en quelque sorte face.
Il n’est pas bien gros, 171 pages, certaines bourrées, d’autres à moitié voir trois quarts vides ou pleines. C’est un peu la théorie du verre d’eau, de vin, de vodka ; enfin, vous connaissez.
Sur la jaquette, vous trônez seul. Le cliché est en noir et blanc et il ne semble pas dater d’hier ; en dessous, lorsqu’on prend la peine d’ôter la jaquette, on se retrouve un peu devant ce qui pourrait être votre sépulture ou votre « image souvenir » : une étendue blanche, la même photo recadrée, puis votre identité en lettres rouges (comme celles de l’Olympia ?), et, pour finir, à nouveau ce titre Ça s’est fait comme ça.
Il vous ressemble ce titre, comme le livre d’ailleurs. Enfin, il serait plus correct d’écrire qu’il ressemble à l’idée que je me fais de vous. C’est un ouvrage fait d’un complexe, mais subtil mélange de sentiments : de la force de vivre, d’une certaine nonchalance, d’une désillusion profonde. Il est à la fois touchant, humble, excessif, emporté. Il sonne comme votre voix avec votre rire fort.
Vous avez écrit « Ça s’est fait comme ça », ce qui sonne un peu carré, brut, alors qu’il aurait été peut-être plus correct et harmonieux d’écrire « Cela s’est passé comme cela ».
Qu’est-ce qui s’est déroulé ainsi ?
Votre vie !
On la parcourt sous vos pas, dans vos enjambées plus ou moins assurées ; du moins les parties que vous avez envie de nous servir, les bouteilles que vous jugez bonnes à boire parce que c’est le moment ou parce qu’elles vous donneront de la consistance.
Il y a de tout dans ces pages : de l’émotion, de l’exaspération et de l’agacement de ma part à certains moments ; de la passion et de l’exagération de la vôtre. On revit votre enfance, et même avant cela, la grossesse de votre mère, puis votre jeunesse chahutée, la base américaine, la montée de Châteauroux à Paris, les cours de théâtre, la rencontre avec Élisabeth, votre carrière.
Et, en parallèle de cela, un peu comme une seconde route à parcourir, et sur laquelle vous reconnaissez ne pas avoir été assez souvent : il y a celle de votre existence, de votre vie privée, avec ses jours d’allégresses et ses nuits de chagrins. Beaucoup de choses sont dites, et j’ai eu l’impression qu’il n’y a pas de tricheries, que vous claquiez vos mots, ceux qui sont en vous, sans vous soucier de faire bien ou de faire mal. Vous le faites par envie.
Mais il n’y a pas que vous dans ce livre. Si, bien sûr, il y a tous vos proches, vos enfants, les femmes qui ont croisé votre route, les gens du cinéma ; il y a également l’ombre d’une seconde plume, de quelqu’un qui vous a aidé à mettre par écrit vos mots, qui vous a probablement poussé à aller marcher plutôt sur certaines terres que d’autres ; et dont je dirais que sa présence est partout et nulle part dans ce livre, tant en effet, elle semble s’effacer pour laisser à votre carrure toute la place et l’exposition un rien nombriliste qu’elle réclame. Lionel Duroy, puisque c’est lui, a fait un très bon travail en venant vous écouter chez vous ou ailleurs, vous trouvant quelques fois torse nu avec une bière à la main. Mais lui, son nom, il n’est pas sur la jaquette, ni sur la couverture, mais sous le vôtre, sur la page de titre, comme tapi dans votre imposante et peut-être écrasante ombre.
Voilà donc comment en un peu moins de deux cent pages, vous vous confessez sur vos succès, vos erreurs, vos maux, vos passions, vos choix de vie, vos amitiés politiques qui, ces dernières années, vous ont plus fait apparaître dans une certaine presse que sur les écrans des salles obscures ou les téléviseurs dans les salons.
Voilà, c’est vous, Gérard Depardieu, délinquant à Châteauroux, Acteur à Paris, père à Bougival, Propriétaire de Vignobles en Anjou, Citoyen du monde de la Belgique à la Russie en passant par bien d’autres contrées.
Après avoir dévoré — je l’avoue — votre livre comme on se rassasie d’un bon plat, et même durant ce moment, je me suis posé cette question : « Pourquoi se raconter de pareille manière et pourquoi à ce moment-ci de votre vie ? »
Par envie ? Par besoin pathologique ? Pour épater une éventuelle galerie ? Pour laisser quelque chose de vous avant une mort qui serait proche ?
Parce que vous avez suffisamment de matière à offrir ? Parce que 66 ans vous semble un bon âge pour vous justifier de toutes les attaques des dernières années et pousser un coup de gueule, car, tel Cyrano qui est le seul à pouvoir se servir la tirade sur son nez, vous seriez le seul à pouvoir narrer la vie de Gérard Depardieu ?
Pour toutes ces raisons peut-être et pour bien d’autres probablement. Vous vivez les choses pleinement, vous faites les choses « comme ça » et vous prétendez ne pas beaucoup vous soucier de tout l’argent que vous pourriez laisser, des héritages, de ces choses que vous semblez trouver compliquées ; et, comme si vous vouliez finir ce livre de manière simple, presque dans un grand éclat de rire où je vous ai imaginé dire « Hé, petit, c’est de la blague tout cela, mais avoue que tu l’as trouvée belle mon histoire ! », vous jetez au lecteur ces ultimes mots qui sonnent un peu comme un conseil :
« Et puis tu boiras mon vin, mon chéri, mon amour, et en le buvant tu te rappelleras mon rire. Mon gros rire de paysan, hein ? Et combien j’ai aimé la vie.
Va, jouis de chaque instant, sois heureux surtout. »
Voilà, j’ai aimé votre livre Gérard ; et là, comme vous le dites si bien, je m’en vais jouir de chaque instant, être simplement un homme heureux. Je pense que c’est déjà là un beau programme.
François-Xavier, bibliothécaire
Vérifiez la disponibilité en bibliothèque :
Ça c’est fait comme ça, Gérard Depardieu (XO, 2014).
6 commentaires sur “Lettre à Gérard Depardieu”
Cher Monsieur Lefèvre,
Merci de votre critique dont je ne partage pourtant pas la sévérité.
En effet, vous y mettez en question ma loyauté. J’aurais selon vous occulté le rôle de Lionel Duroy alors que, de manière explicite, j’écrivais pourtant :
Ce passage ne peut laisser penser que je minimise en quelque façon le rôle de Lionel Duroy dans ce livre en particulier, et le phénomène d’écrivains dits « métis » en général, comme le le décrit très bien cet article vers lequel je me permets de vous renvoyer pour poursuivre notre échange :
http://www.lexpress.fr/culture/livre/les-negres-de-l-edition-s-affranchissent_849507.html
Je vous remercie en tous les cas pour l’attention que vous avez portée à cet Épinglé.
Cordialement,
François-Xavier Van Caulaert
Chère Madame Lafon,
Je tenais à vous remercier pour le partage de votre riche ressenti de lecture, ainsi que pour cette critique personnelle de l’ouvrage de Gérard Depardieu écrit en collaboration avec Lionel Duroy. Il est beau de voir à quel point les livres habitent nos vies.
Cordialement
François-Xavier Van Caulaert
Chère Madame Smans,
Merci pour ce joli compliment.
Je ne peux que souhaiter que vos prochaines lectures aient le don de vous enthousiasme comme celle-ci a pu le faire.
Cordialement
François-Xavier Van Caulaert
Lionel Duroy est un auteur que j’apprécie et je sais qu’il écrit la biographie des people, mais je ne lis pas people.
Ce que je cherche à travers ce livre c’est retrouver le Gérard Depardieu, celui que je connais ou devine à travers les personnages qu’il a incarné.
Sa filmographie impressionnante, parle pour lui si nous parlons de l’homme publique.
Une image est restée gravée dans ma mémoire, Monsieur Depardieu qui prête sa stature de colosse à l’abbé Donissan dans « Sous le soleil de Satan » et qui s’éloigne seul : cette force et cette fragilité à la fois incarnées par cet homme, car l’image va au-delà du jeu de l’acteur.
Agacée par les médias qui commentaient son enfance : horrible, misérable et les accouchements de la mère etc..
Son enfance en cours chapitres Gérard nous raconte qu’il n’est pas un enfant désiré et même que l’on a joué « des aiguilles à tricoter » pour le faire passer, mais qu’il était donc teigneux ce Gérard de s’être accroché comme cela .
Contrairement à la légende, il aime ses parents et il est aimé comme cela se peut dans une famille nombreuse et manquant de moyens pour éduquer.
Que lui a-t-on fait, sinon le laisser libre, de vivre, faire des conneries, d’observer et d’apprendre à travers la vie de famille de certains de ses camarades.
Parents de son copain qui eux ne faisaient pas de différences et lui ont dit simplement qu’il était le bienvenu à chaque fois qu’il le souhaiterait.
Petites combines, rencontres souvent belles et durables, Gérard observe, se rend utile auprès de ses parents, quand on est modeste il faut savoir faire avec ce que l’on a . La sage-femme voyant ce jeune garçon attentif, solide et sur qui l’on pouvait compter lui apprend comment aider sa mère lors des accouchements,
Ce n’est sûrement pas le rôle d’un enfant mais c’est pragmatique.
Que dit-il du Dédé et de la Lilette, qu’ils se sont aimés, pendant quarante-cinq ans, et que seule la mort les a séparé de seulement quelques semaines.
Oui à sept ou huit ans ce n’est pas à un enfant d’accoucher sa mère, et alors? La question serait pourquoi lui, il a deux aînés. Lui parce que c’est lui Gérard déjà solide et dans la vie, il a confiance , il n’est pas rebuté par tout cela, juste efficace.
L’école et la religion, parlons-en : où est la charité chrétienne, les parents ne peuvent pas payer : il est effacé, comme la craie au tableau, d’un coup de chiffon.
Qu’importe il n’en souffre pas il le comprend plus tard, les mêmes lui ont cirés les pompes quand il a été connu…Sans commentaire.
A dix ans il est dehors, libre, pas malheureux il fait son apprentissage de la vie : » La rue ne te laisse rien passer, tu dois croire en ta bonne étoile, ne compter que sur toi-même ».
Rencontre très édifiante et qui lui ouvre des horizons, celles des GI basés à Châteauroux. Il apprend les affaires. Il aide la Lilette, ses potes dans le besoin, et découvre la culture par le cinéma.
Dans le même temps les Brossard bourgeois cultivés et sans préjugés l’accueillent à bras ouverts, lui, le différent. Il n’a pas les mots de l’éducation, mais il sait saisir sa chance.
Puis l’ami, le premier véritable, Michel, fils de médecin, qui vit à Paris avec son frère et qui lui offre ainsi un pied à terre, à seize ans dans la capitale. « Je suis parti parce que j’étais libre »…
De son enfance, je retiens de l’amour pour son père et sa mère, pas de jugement, et de la liberté.
Certes ce n’est pas conventionnel, mais c’est comme ça.
1966 : rencontre avec Jean-Laurent Cochet, si Gérard n’a pas d’argent, il n’est pas effacé comme à l’école ou à l’église. Au contraire, il est valorisé. Pourtant les mots lui manquent, mais il travaille et accepte les mains tendues, celles d’un érudit M.Souami.
Rencontre d’Elisabeth, sa future femme et mère de ses enfants, Guillaume et Julie. Elle est instruite, éduquée et cultivée et elle l’a choisi, lui.
Il cachetonne pour que sa famille ne manque pas et il rattrape le temps perdu, il avale plus qu’il ne lis.
Deux auteurs, lui parlent, sont fondateurs : Peter Handke et Marguerite Duras. Du premier il dira « tout ce que je lis de lui parle de moi »;
Son cœur de papa saigne et saignera…
De ces femmes il dit peu et beaucoup .
A travers l’élevage du vin, il fonde la vie, il dit la vie et la transmission.
Poutine, ne regarde que lui.
La France, il lui a beaucoup donné et il a le même sentiment que lorsque enfant il est exclu et qu’ensuite la notoriété étant là les mêmes viennent lui cirer les pompes.
Pourquoi s’acharner sur lui, alors que tant d’autres sont partis apporter leur argent ailleurs et bien avant d’avoir 65 ans. Certains se souviennent de revenir en France pour donner des leçons de patriotisme. Deux poids, deux mesures m’a toujours donné la nausée.
Parce qu’il a été élevé libre , il est citoyen du monde.
Merci Monsieur Depardieu pour ce partage de « votre chant du monde » et d’avoir eu le « souci de nous dire l’indicible »
Je discutai de ce livre avec mon fils Hugo, il m’a dit te souviens-tu du nombre de fois où nous avons regardé « les misérables » blottis l’un contre l’autre . Superbes moments de complicité…
Magnifique analyse qui dégage bien ce que j’ai aussi ressenti à la lecture du livre !
Bravo pour cette belle sensibilité.
Manque d’objectivité mon cher bibliothécaire. Grave omission aussi. Tu passes sous silence que c’est Lionel Duroy l’écrivain.
« Avec Depardieu, on s’est vus pendant trois mois. On dînait. J’enregistrais. »
Ecouter c’est une chose…
Il était loyal d’informer le lecteur que Lionel Duroy est l’auteur des Mémoires de Gérard Depardieu. Et non un simple auditeur.
Cf.: http://bibliobs.nouvelobs.com/documents/20141114.OBS5126/avec-depardieu-on-s-est-vus-pendant-trois-mois-on-dinait-j-enregistrais.html
C’est cette ambiguité qui a motivé ma propre chronique sur : http://lesplaisirsdemarcpage.skynetblogs.be/archive/2015/02/12/ca-s-est-fait-comme-ca-lionel-duroy-a-la-rencontre-de-gerard-8383816.html
Bien à toi mon bibliothécaire.