Epinglés ! présente les découvertes des bibliothécaires et des lecteurs, des livres récents ou plus anciens, parfois méconnus, et qui méritent un coup de projecteur.
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Tout commence dans le cœur de Jésus. Une jeune fille frêle, reliée à une bonbonne d’oxygène et harnachée d’une canule dans les narines, récite un texte pour contrer la peur de l’oubli :
« Un jour viendra […] où nous serons tous morts. Tous. Un jour viendra où il ne restera aucun humain pour se rappeler l’existence des hommes. Un jour viendra où il ne restera plus personne pour se souvenir d’Aristote ou de Cléopâtre, encore moins de toi. Tout ce qui a été fait, construit, pensé et découvert sera oublié, et tout ça […] n’aura servi à rien. »
De ce début de roman sombre en apparence naît en réalité une histoire bouleversante, baignée de lumière. Nous sommes dans les terres arides de l’Indiana. Hazel Grace a seize ans et vit avec le cancer depuis ses treize ans. Son mal est incurable et elle se sait condamnée. Dans le groupe de soutien où elle se rend contrainte et forcée par sa mère, elle rencontre Augustus, âgé d’un an de plus qu’elle et survivant d’un cancer en rémission qui a emporté avec lui l’une de ses jambes. Une petite lueur s’allume ; elle ne s’éteindra jamais.
Un livre, la Bible d’Hazel, les réunit alors dans une quête littéraire passionnée. Ce livre, c’est Une impériale affliction de Peter Van Houten, l’unique œuvre de l’écrivain. Sa seule publication. Il y raconte l’histoire d’Anna, une jeune fille malade qu’Hazel considère comme son double de papier, l’exacte expression de sa propre vie intérieure, comme si l’auteur avait compris ses inquiétudes et la révolte sourde qui remuent à l’intérieur de son ventre. Seulement voilà, la fin de l’ouvrage a été laissée en suspens et Hazel aimerait connaître le sort des personnages. Celui de son héroïne. Augustus parvient à joindre la secrétaire du mystérieux écrivain hollandais et leur décroche un ticket pour Amsterdam ; peut-être vont-ils enfin connaître le dénouement de cette histoire qui les hante, à moins que le voyage ne leur réserve d’autres surprises…
C’est anéanti que vous ressortirez de ce livre. Positivement anéanti, je veux dire, avec cette fatigue lourde qui s’abat sur vous et vous laisse pantelant, les yeux dans le vague. Comme si vous aviez embarqué sur des montagnes russes émotionnelles trois cents pages durant avant de passer votre cœur à la machine à laver, réglée sur essorage optimal. Hazel est terriblement attachante, et bien qu’elle veuille se montrer forte, elle se révèle sublime de fragilité quand elle baisse enfin les armes :
« J’avais consacré le plus clair de ma vie à m’efforcer de ne pas pleurer devant les gens qui m’aimaient, je savais donc ce qu’Augustus était en train de faire. Vous serrez les dents, vous relevez la tête, vous vous dites que, s’ils vous voient pleurer, ils vont avoir mal, et que vous ne serez jamais rien d’autre que de la tristesse dans leur vie. Et, comme vous ne voulez pas qu’ils vous résument à de la tristesse, vous ne pleurez pas, vous vous dites tout ça dans votre tête en regardant le plafond, puis vous déglutissez un grand coup, même si votre gorge s’y oppose, et vous regardez la personne qui vous aime en souriant. »
Cette empathie la rend plus soucieuse des autres que de sa propre personne. Son impression d’être « une grenade dégoupillée » prête à « exploser » la tient au départ à distance d’Augustus, qu’elle tente de préserver à défaut de pouvoir le faire avec ses parents. Mais ces deux-là qui s’acharnent à vivre sont de toute évidence des âmes sœurs destinées à être réunies. Le regard qu’ils portent sur la maladie et sur la façon dont leur corps malade est perçu par l’extérieur est parfois d’un cynisme décapant, parfois d’une rare poésie, si bien que l’on se sent toujours sur le fil, entre sourire et larmes.
La pureté du texte, émanant du naturel des dialogues et de l’authenticité de ses personnages, fige ainsi le roman dans un certain état de grâce. Aucune complaisance ni aucun pathos ne sont à déplorer ; seule demeure cette justesse déchirante qui fait penser que le drame a été vécu, de l’intérieur, par des êtres de chair et de sang.
Un livre à « éprouver » dès 14 ans, avec une boîte de mouchoirs à proximité, et qui fera écho à tous ceux qui ont cohabité, de près ou de loin, avec le cancer et son lot d’angoisses, de doutes, de colère et de désespoir.
Mélanie, bibliothécaire
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Nos étoiles contraires, John Green (Nathan, 2013).