Epinglés ! présente les découvertes des bibliothécaires et des lecteurs, des livres récents ou plus anciens, parfois méconnus, et qui méritent un coup de projecteur.
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« Quand je suis née, Hamlet était leur pièce préférée à tous les deux. Ils ont trouvé trop macabre de m’appeler Ophélie, comme la compagne suicidaire d’Hamlet. C’est comme ça que je me suis vue affublée non seulement d’un nom de garçon, mais en plus de celui d’un prince danois tragique qui parlait aux crânes et avait un faible pour sa mère. Du coup, je suis un peu susceptible sur la question. »
Imaginez que vos parents soient des enseignants fanatiques de Shakespeare. Je veux dire, vraiment fanatiques. Au point de broder des citations du barde sur des coussins, de s’évertuer à reproduire des maquettes du feu théâtre du Globe, de cuisiner du potage de mouton à la mode élisabéthaine et d’intégrer à leurs bavardages les expressions châtiées du XVIIe siècle ; le tout, s’il vous plaît, en costumes Renaissance : capes virevoltantes, robes en velours, chemises à jabots et collants. Comment le vivriez-vous, chers lecteurs, du haut de vos quatorze ans tourmentés ?
Hamlet Kennedy, pour sa part, pas très bien. Son existence, jalonnée de misères quotidiennes et influencée par les faits et gestes d’un poète pourtant mort depuis plusieurs siècles, ressemble fort à un chemin de croix version Richard III visité par les fantômes. Et, comme si les mœurs excentriques de sa famille ne suffisaient pas à faire de sa vie un cauchemar éveillé digne de celui dont est victime Macbeth dans la pièce éponyme, le destin a trouvé bon, cette rentrée, d’envoyer son génie de sœur dans le collège où elle étudie : Howard Hoffer alias HoHo, simili-Golgotha où est enracinée, comme la souche d’un arbre centenaire, sa réputation d’allumée du ciboulot. Vue d’ici, la situation ne pourrait pas être pire.
Enfin ça, c’était avant qu’Hamlet apprenne à son cours de littérature que le trimestre serait consacré à Sir William Shakespeare, qu’il y aurait en bonus une représentation de la pièce Le Songe d’une nuit d’été avec dans le rôle vedette sa propre personne, et qu’elle se découvre, dans la foulée, un don pour déclamer à la perfection les vers de celui qu’elle se farcit au quotidien depuis son premier cri. Ajoutez à cette révélation terrible un quiproquo amoureux, deux pimbêches diaboliques qui tentent de faire main basse sur sa sœur pour réussir leurs examens, un énergumène qui poste dans son casier des cochons en origami (parce que Ham…let), et l’année s’annonce gratinée…
Être ou ne pas être ? La honte pousse parfois notre héroïne à opter pour la seconde proposition. Car être une fille nommée Hamlet n’est pas une réalité facile à assumer, surtout jetée dans ce sac de nœuds qu’est l’adolescence, par-dessus l’acné, le cheveu gras, la sensibilité à fleur de peau et les sentiments contradictoires. Mais voilà, dans la vie rien n’est insurmontable, pas même la cohabitation avec des parents farfelus semblant tout droit sortis d’un opéra baroque ou une petite sœur de sept ans qui résout à votre place, à la vitesse de l’éclair, vos obscurs problèmes de maths.
Et c’est ce que nous démontre par a+b Erin Dionne dans ce roman d’apprentissage à l’écriture enlevée, scindé en trois actes et un épilogue, au cours desquels Hamlet se révèle peu à peu à elle-même. Longtemps obnubilée par le sentiment d’être une ratée, elle s’affirme et laisse tomber les barrières pour exprimer, enfin, son besoin d’être aimée. Évanouies la jalousie qu’elle éprouvait à l’égard de Dezzie et l’envie de se terrer dans un trou de souris à chaque apparition parentale ! Hamlet a trouvé sa place au sein de son foyer hors norme et, à mesure que le dénouement se profile, parvient à comprendre la passion dévorante de ses parents et à en accepter l’héritage, mu en cette prédisposition innée pour le théâtre qui finalement la rattache à eux plus que ne le feraient les liens du sang. Le conflit ainsi désamorcé laisse place à une happy end qui clôt en beauté cette comédie en prose, hommage au célèbre auteur de Roméo et Juliette. « Il faut que l’auteur ait de l’esprit pour que l’œuvre en ait ! » écrivait ce dernier dans La Mégère apprivoisée. Une chose est sûre : Erin Dionne n’en manque pas !
Mélanie, bibliothécaire
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Une fille nommée Hamlet, Erin Dionne (Hélium, 2013).