Epinglés ! présente les découvertes des bibliothécaires et des lecteurs, des livres récents ou plus anciens, parfois méconnus, et qui méritent un coup de projecteur.
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Cent Grillons, Barbeau bleu, L’étroit petit pochon… Vous les reconnaissez ? Henri Meunier a chahuté nos contes fondamentaux pour créer son propre florilège. Et grand bien lui en a pris, car le résultat est jubilatoire !
Chaque histoire commence par une page de rébus grâce à laquelle on devine le titre (bon, pas toujours, mais pas de panique, vous pouvez tricher puisque la réponse est au verso). Viennent ensuite des réécritures merveilleuses très libres, nourries par diverses influences (tel Pouchkine), et servies dans une langue pure et ciselée comme un camée.
Si la mise en page élégante, alternant texte et illustrations à la Gustave Doré, fait écho à ces vieux manuscrits du Cabinet des fées qui rassemblaient en leurs nombreux volumes des contes du XVIIe et XVIIIe siècles, le contenu, lui, est d’une impertinence toute moderne, questionnant le pouvoir et notamment celui des « maires » dont la « seule ambition » est de « dévorer tout cru leurs administrés ».
Sottise, cupidité, mégalomanie, ignorance : les travers humains y sont épinglés dans toute leur cynique splendeur, et les créatures des contes de fées en prennent pour leur grade. Chez Meunier, le génie s’improvise conseiller matrimonial et transforme les épouses odieuses en jeunettes aimantes ; la princesse, à défaut de trouver son valeureux prince, enchaine les coups d’essai et essuie « deux cent six échecs conjugaux » ; enfin, les rois ne tiennent pas leurs promesses et les garçons aux dents longues pactisent avec les ogres.
L’auteur se joue des codes usités dans les contes traditionnels et pastiche, avec un humour caustique, leur sempiternel prologue :
Il était une fois un pêcheur. Un pêcheur pauvre, aurai-je pu dire, mais je me méfie des pléonasmes. Ce miséreux et sa femme vivotaient du mieux qu’ils le pouvaient des grâces de la mer et de leur incessant labeur. Leur modeste cahute, accrochée au rocher comme une bernique, tenait bon les embruns et les vents. Ils étaient. Ils étaient heureux, aurais-je pu dire, mais je me méfie des mystifications.
Quand il était en mer, la femme du pêcheur filait à son rouet pour réparer les mailles des sennes. Quand il était à terre, elle filait à la ville pour vendre le fruit de la pêche. Quand la pêche était bonne, la soupe était bonne. Quand la pêche était mauvaise, le brouet était d’eau claire et de cailloux. Une vie simple se résumant à quatre quand, pas plus. (p.13)
Les morales – pas toujours très morales ! – sont quant à elles réjouissantes et, comme le texte, peuvent se lire à des niveaux différents. Les adultes apprécieront le style incisif, les clins d’œil contemporains (et engagés), distillés ça et là au fil des histoires, et les enfants seront ravis par les situations cocasses qu’a sues créer l’auteur, doté d’un goût certain pour l’absurde ! Bien entendu, avec tous les contes qui existent, on attend un volume 2…
Mélanie, bibliothécaire
Vérifiez la disponibilité en bibliothèque :
Cent Grillons (et autres contes pas piqués des hannetons), Henri Meunier (Rouergue, 2013).